UNE HISTOIRE « ORANJE » (IV/V)

Mischa Bredewold : « Un rêve de courir avec ce maillot »

Il y a 40 ans, au mois de juin 1984, le peloton féminin rejoignait la grande fête du Tour. Six Néerlandaises affichaient les couleurs « Oranje » et imposaient leur puissance en figurant toutes parmi les huit premières à l’arrivée de la première étape, avec Mieke Havik en tête. Insatiables, les pionnières « Oranje » allaient rafler quinze victoires d’étapes dans cette édition historique. Depuis, plusieurs générations ont émergé et la maestria néerlandaise est restée éblouissante. Pour plonger dans l’histoire de cette saga quelques semaines avant le Grand Départ du Tour de France Femmes avec Zwift à Rotterdam, le site officiel letourfemmes.fr est allé à la rencontre de quelques-unes de ses actrices principales : au passé, au présent et au futur.

Mischa Bredewold, 24 ans, se souvient avoir assisté au Grand Départ du Tour 2015 à Utrecht, situé à une vingtaine de kilomètres de son fief à Amersfoort. Neuf ans plus tard, le 12 août à Rotterdam, ce sera à son tour de s'élancer à domicile sur le Tour de France Femmes avec Zwift. Le public néerlandais n'aura aucun mal à reconnaître la coureuse de SD Worx-Protime puisqu'elle portera le maillot de championne d'Europe. Une tunique blanche et bleue, acquise au col de Vam, toujours aux Pays-Bas, qui l'a fait changer de dimension le 23 septembre dernier et la remplit de "motivation et de fierté" au quotidien. "Je suis très excitée à l'idée de partir dans mon propre pays avec ce magnifique maillot sur les épaules" décrit l'équipière de Demi Vollering, avec qui elle doit partir effectuer son tout premier stage en altitude, dans les Alpes, en vue de la 3e édition du Tour de France Femmes avec Zwift.

30/04/2024 - La Vuelta Femenina 24 by Carrefour.es - Etapa 3 - Lucena / Teruel (130,2 km) - BREDEWOLD Mischa (TEAM SD WORX - PROTIME)
30/04/2024 - La Vuelta Femenina 24 by Carrefour.es - Etapa 3 - Lucena / Teruel (130,2 km) - BREDEWOLD Mischa (TEAM SD WORX - PROTIME) © Unipublic/Alex Berasategi

Racontez-nous comment c'est, de grandir en tant que jeune cycliste dans un pays comme le vôtre, où tant de championnes ont brillé génération après génération ?

Depuis notre plus jeune âge, nous sommes inspirées par toutes les championnes néerlandaises. Le cyclisme est un sport important ici. Vous pouvez toujours en regarder à la télévision, tout le monde fait du vélo. Il est assez normal que le cyclisme occupe une grande partie de votre vie... D'un autre côté, la concurrence est rude aux Pays-Bas ! Il est difficile d'être sélectionnée pour les championnats du monde, mais c'est une source de motivation pour devenir meilleure. L'an passé, cela a vraiment représenté quelque chose, personnellement, d'obtenir ma première "qualification" pour les Mondiaux. Car je sais, et tout le monde le sait, à quel point c'est difficile d'être sélectionné aux Pays-Bas. Le niveau est très élevé. Mais c'est une bonne chose, en fin de compte, parce que vous travaillez plus dur.   

Qui vous a particulièrement inspiré dans votre jeunesse ? 

Marianne Vos était celle que j'admirais. C'était le top du cyclisme féminin. Et puis, quand j'étais junior, Anna van der Breggen était toujours une source d'inspiration, elle dominait tellement. Je pense que tout le monde voulait être à sa place ! Maintenant, elle est ma directrice sportive, ce qui est super cool ! Son expérience est immense.  

Est-elle aussi votre entraîneuse, comme c'est le cas pour votre coéquipière Demi Vollering ?

Non, mais en tant que directrice sportive j'ai pu découvrir aussi Anna la personne. Pareil pour Marianne Vos, je la connais désormais. Quand nous discutons en course, ce n'est plus seulement Marianne Vos la championne, mais aussi Marianne, l'être humain tout simplement ! C'est génial d'apprendre à connaître les femmes que tu as depuis toujours admirées.   

Et vous êtes entrée, à votre tour, dans le cercle des grandes coureuses en devenant championne d'Europe l'automne dernier. Il y a deux ans, vous étiez encore dans l'anonymat chez Parkhotel Valkenburg. Il parait qu'il vous arrive d'être reconnue dans la rue désormais, comme dans ce magasin de fleurs dans le Limbourg l'hiver dernier. Selon vous, c'est surtout l'effet du titre européen ou bien de votre appartenance à la meilleure équipe du monde, SD Worx-Protime ?

Le titre européen, assurément ! Bien sûr, les gens m'ont connue davantage quand je suis arrivée dans l'équipe l'an passé. Mais d'un autre côté, cela m'a fait entrer un peu plus dans l'ombre. Car en évoluant dans la meilleure équipe, tu restes dans l'ombre des grandes filles, ce qui me va d'ailleurs très bien car c'est un bon moyen de se développer, à l'abri des projecteurs. Mais je pense que devenir championne d'Europe a fait une grosse différence pour ma notoriété !  

Pour avoir confiance en vos moyens, ça doit être important aussi…

Oui, cela ne m'a pas changé en tant que personne, ni en tant que coureuse. Mais cela me donne beaucoup de confiance, de motivation et de fierté aussi, car c'est toujours aussi agréable de porter ce maillot tous les jours.  

Vous le porterez sur le prochain Tour de France Femmes avec Zwift, si vous êtes sélectionnée par votre équipe, bien entendu.

Oui, le plan est que je fasse le Tour ! Je suis très excitée à l'idée de partir dans mon propre pays avec ce magnifique maillot sur les épaules. C'est un véritable rêve !  

Et que serait pour vous un Tour réussi ?

Gagner encore avec Demi [Vollering, la tenante du titre], bien entendu. Si je parviens à contribuer à son succès, je serais très heureuse. Et s'il y a une opportunité, un jour, de signer un bon résultat, je serais encore plus heureuse ! Mais le premier objectif est de gagner le général, toutes ensemble. Je veux travailler dur pour ça.

21/04/2024 - Liège Bastogne Liège Femmes - Bastogne / Liège (152,9 km) - VOLLERING Demi, KOPECKY Lotte, BREDEWOLD Mischa (TEAM SD WORX - PROTIME)
21/04/2024 - Liège Bastogne Liège Femmes - Bastogne / Liège (152,9 km) - VOLLERING Demi, KOPECKY Lotte, BREDEWOLD Mischa (TEAM SD WORX - PROTIME) © A.S.O./Billy Ceusters

Vous avez découvert le Tour de France Femmes avec Zwift dès sa 1e édition, en 2022, avec une 21e place au général et une 2e au classement de la meilleure jeune. À quel point ces résultats étaient-ils inattendus pour vous ?

C'était totalement surprenant ! Nous avions des ambitions pour le général, mais avec une autre coureuse. Je n'y pensais pas du tout, ce qui est d'ailleurs dommage car j'ai perdu beaucoup de temps en me relevant lors de la 3e étape |2'49" de retard ce jour-là sur la future vainqueure du classement de la meilleure jeune, Shirin van Anrooij] ! Je ne dis pas que j'aurais pu gagner le maillot blanc, mais j'en aurais été plus proche |son débours final sur Van Anrooij s'élève à 5'41"] ! En tout cas, c'était une grosse surprise. C'est un peu par accident que je me suis retrouvée à grimper aussi bien. J'ai découvert que je n'étais pas si mauvaise dans les longues montées ! J'ai vraiment de bons souvenirs de ce Tour. Nous avons porté le maillot à pois durant six jours |via Femke Markus puis Femke Gerritse], alors que nous étions l'une des plus petites formations et que personne ne nous attendait.   

Un an plus tard, vous étiez de retour sur le Tour, mais avec une nouvelle équipe, SD Worx, qui compte les deux meilleures coureuses au monde, Lotte Kopecky et Demi Vollering. On imagine que ce fut une manière totalement différente d'expérimenter le Tour.

Oui, c'était vraiment différent … et beaucoup plus difficile ! J'ai dû travailler si dur. Rester dans les roues ou rouler en tête de peloton, cela change tout. Il y avait beaucoup de pression, pour Demi bien sûr, mais aussi pour toute l'équipe. C'était nouveau pour moi d'avoir ce genre de pression durant toute une semaine. C'était très intense.  

Ce rôle d'équipière vous plait-il ? Aspirez-vous un jour à être leader sur le Tour ?

Pour le Tour, à l'heure actuelle, ça me semble compliqué de gagner. Je préfère donc rouler pour une autre qui se sent capable de le faire. Mais il s'agit de trouver le bon équilibre. D'avoir d'un côté des courses sur lesquelles tu peux gagner, et de l'autre des épreuves où tu te dévoues à l'équipe, en gagnant via Demi par exemple. Ça, c'est la bonne combinaison.   

Comment vous décririez-vous, en tant que coureuse ?

Je pense que je suis plutôt une puncheuse. Ma coéquipière Marlen Reusser est une source d'inspiration ! Ses capacités, sa facilité à grimper… J'espère aussi, dans le futur, si je continue à progresser, pouvoir être à l'aise dans les longues montées et atteindre son niveau un jour. Mais pour l'heure, je pense être assez punchy.  

On a pu constater, avec Lotte Kopecky l'an passé, que les puncheuses peuvent à terme devenir de très bonnes grimpeuses… Oui et je pense que la montagne est une qualité que l'on développe au fil des ans. Ce n'est pas quelque chose sur lequel je me focalise actuellement. Mais cela viendra avec le temps, si je deviens plus forte.   Parlez-nous de vos débuts.

Qu'est-ce qui vous a poussé vers le cyclisme ? 

Mon frère ! Je viens d'une famille très sportive, mon père a toujours fait du vélo, y compris en compétition. Cela nous a inspiré tous les deux, mon frère et moi. Il a commencé à l'âge de 8 ou 9 ans. C'était mon héros, tout ce qu'il faisait, j'avais envie de le faire aussi ! Je me suis donc mise aussi au vélo, à 7 ans.  

Vous venez d'Amersfoort, à une vingtaine de kilomètres d'Utrecht. Étiez-vous présente au Grand Départ du Tour en 2015 ?

Bien sûr ! C'était un contre-la-montre n'est-ce pas ? (C'est bien le cas). Je me souviens aussi du départ du Tour d'Italie, en 2010. J'avais roulé 45 ou 50 km pour aller le voir. C'était alors la plus grosse sortie de ma vie !  

Vous faites toujours à Utrecht des études dans les sciences biomédicales ? Oui ! Encore un an et ça sera fini. Mais si j'avais su à quel point ce genre d'études étaient compliquées à mener avec le cyclisme, je ne les aurais pas choisies ! J'aime beaucoup ce domaine néanmoins, la physiologie, comment fonctionne le corps. Mais avec le temps, j'ai développé un intérêt pour la … philosophie. Elle constitue le sujet de mes études désormais [en mineure]. C'est la partie qu'il me reste d'ailleurs à valider. J'ai déjà bouclé celle sur les sciences biomédicales.  

Ce sont deux domaines assez différents !

Oui, mais aux Pays-Bas, c'est assez courant ! Tu choisis des études à 18 ans, mais tu n'es déjà plus la même personne à 20 ans. C'est ce qui est bien à l'université : tu as la possibilité de choisir différentes choses.   

Quel philosophe vous intéresse le plus ? Bonne question ! J'apprécie Nietzsche, du moins j'aime le lire. Il est très agressif… Non pas que je suis d'accord avec lui sur tout, mais j'aime bien sa manière de s'opposer aux conventions, de défendre des idées impopulaires... J'essaie d'ailleurs toujours de faire ça !   

Vous auriez matière à discuter avec Guillaume Martin, diplômé d'un master en philosophie et particulièrement intéressé par Nietzsche. C'est vrai, il a écrit un livre d'ailleurs?   Oui. Socrate à Vélo, une fiction où des philosophes célèbres, dont Nietzsche, se retrouvent à courir le Tour de France.  Je le mets sur ma liste de lectures !   Pour revenir aux études, vous avez dû décaler d'un an votre entrée à l'université en raison d'un grave accident de la route à l'entraînement |heurtée par un camion en 2018, elle a subi des lésions cérébrales, des fractures aux côtes (6), aux vertèbres (3) et à la hanche]. Durant votre longue rééducation, quelle place occupait le vélo dans votre esprit ? Était-ce une source de motivation ou quelque chose de totalement accessoire ?

Les premiers mois, je n'y pensais pas du tout. C'était pour moi complètement ok d'arrêter le vélo. Je pensais juste à remarcher. C'est vraiment une autre priorité ! Je suis restée deux semaines à l'hôpital, deux mois dans un centre de rééducation... J'ai pu ensuite dormir chez moi à nouveau, tout en revenant quotidiennement au centre pour poursuivre ma rééducation. Puis, quand j'ai commencé à retrouver ma "vie normale", à pouvoir marcher à nouveau et utiliser mon cerveau d'une manière normale, j'ai ressenti cette envie profonde de revenir sur un vélo. Pour certaines raisons, j'ai su alors que c'était ce que je voulais faire. C'est ainsi, après l'accident, que j'ai su de manière certaine que je voulais devenir cycliste.  

Deux ans plus tard, vous parvenez, déjà, à signer dans une équipe professionnelle, Parkhotel Valkenburg.

C'est une drôle histoire ! J'étais dans un club mais je galérais vraiment à trouver une équipe. C'était l'année du covid, en 2020, on ne pouvait pas courir. Et de nulle part, j'ai reçu un appel du directeur sportif de Parkhotel Valkenburg ! En fait, c'est une connaissance d'un club cycliste auquel j'appartenais plus jeune qui lui a parlé de moi. Il lui a raconté que j'étais vraiment une battante, etc… Dans la discussion, le directeur sportif m'a tout de suite dit qu'il me voulait dans l'équipe. J'ai accepté, c'était la meilleure décision de ma carrière ! Je dois tellement à cette équipe… C'est elle qui a fait la coureuse que je suis.